INTERVIEW. La 3ème partie de l’entretien avec Anissa Bonnefont est sortie dimanche dernier sur nos réseaux sociaux, l’occasion de revenir sur ses espoirs pour l’avenir du cinéma, ses inspirations de cinéphiles et ses conseils aux jeunes cinéastes que vous êtes et que nous sommes.
De l’espoir pour l’industrie du cinéma
Le cinéma est très important dans nos vies, c’est une réalité que nous partageons tout à fait avec Anissa. Le cinéma permet de s’échapper et de s’évader, d’aller vers un ailleurs. Le cinéma permet de toucher tout le monde car l’image contrairement au langage mais comme la musique est universelle. L’image atteint tout à chacun au cœur, les images n’ont pas besoin de mots pour exister, elles n’ont pas ni langue ni frontière, là est leur force.
Le cinéma est accessible à tous et il fait du bien à la fois parce qu’il nous élève mais aussi parce qu’il apaise – cela étant, même lorsque l’on souhaite regarder un film pour décompresser, est-ce qu’en réalité tout film ne plante-t-il pas une petite graine dans notre tête, une graine d’imagination, de magie, de réflexion et de poésie ?
Le cinéma permet de voyager sans bouger de son siège. En France avec Godard et Demy, en Italie au bras de Visconti et Scola, en Espagne avec Almodóvar, aux États-Unis au travers du regard de Scorsese et Lynch ou encore au Japon grâce à Kore-eda. Un cinéaste au travers de ses films et de ses univers témoigne d’une ère, d’une ville, d’une ambiance, de sa chaleur ou froideur, de sa rapidité ou lenteur, et de son énergie.
Le cinéma dépeint nos époques, il marque nos époques. Il permet aussi de poser sur la pellicule une année, un style, une façon de parler et de se mouvoir. La bobine est le témoin d’un moment de nos vies, elle permet des années plus tard de (re)découvrir une époque passée. Le souvenir et la nostalgie cohabitent, le cinéma permet alors de faire renaître une période qui nous a marquée ou qui a marquée nos parents et qui, grâce à une pellicule, s’offre à nous de nouveau sur grand écran. Cela n’a pas de prix.
En ce sens, les salles de cinémas d’arts et d’essais sont primordiales, il va falloir se battre pour elles, car chaque année plusieurs salles ferment faute de fréquentation, c’est très malheureux car elles sont le garant d’un cinéma libre et indépendant. Dès qu’elles rouvriront nous pourrons essayer d’aller dans ces salles indépendantes, si jolies et si typiques qui ont vu passer les plus grandes stars du cinéma français et international. N’est-il pas tentant de s’asseoir sur le même siège qu’Isabelle Adjani ou que Jean-Paul Belmondo, d’imaginer leur rire, leur sourire ou leur larme devant des films forts et émouvants comme ceux qu’ils auraient pu ou peuvent choisir.
[Un soir, j’ai été voir Le Fanfaron de Dino Risi au Champo à Paris derrière moi Louis Garrel, un autre jour à la Cinémathèque Française devant un documentaire d’Annett Wolf sur Jacques Brel et Serge Reggiani était installé non loin de moi Mathieu Amalric, petits bonheurs que de partager des moments comme ceux-là, que de se dire que je vis ce que cet artiste que j’adore vit lui aussi.]
Anissa s’est battue pour que Wonder boy aille en salle de cinéma parce que c’était important qu’il soit vu par le plus grand nombre, même si cela était très compliqué à assurer avec l’avènement des plateformes de streaming dans le paysage cinématographique actuel. Cela avait du sens – explique Anissa, lorsqu’on travaille pendant 2 à 3 ans sur un film, l’investissement de temps et d’argent que cela requiert justifie une attente réelle de reconnaissance du public et du métier.
Quelles sont ses inspirations ?
Anissa nous parle instinctivement du cinéma italien d’après-guerre car il raconte les traumatismes de l’époque et la violence de la guerre toujours habités par beaucoup de vie et de poésie au travers de ses personnages et de sa musique. La vie ressentie dans chaque personnage est intense, ils sont toujours très drôles même lorsque très misérables et pleins de tendresse aussi dramatique leur situation soit-elle.
Anissa travaille et est en contact perpétuel avec son chef opérateur Thomas Brémond, grandir ensemble est quelque chose de fabuleux – explique-t-elle, ils sont tous deux passionnés de cinéma et d’images. S’entourer c’est aussi évoluer et mûrir sur sa vision du cinéma, c’est y trouver des plans, des axes, des jeux de couleurs et de cadrages. regarder des films permet de se nourrir et c’est une chose bien indispensable lorsque l’on fait le métier de réalisateur.rice.
Anissa pense ensuite aux cinéastes américains comme Stanley Kubrick et David Lynch qui l’inspirent beaucoup. Mais aussi, aux coréens d’aujourd’hui et aux japonais d’hier, et puis bien sûr Fellini, Fellini et encore Fellini. Son film préféré du cinéaste italien est Les nuits de Cabiria. Le film sorti à l’automne 1957 raconte un morceau de vie de Cabiria, une petite prostituée romaine assez naïve malgré son dur métier. En dehors de ses clients, les hommes qu’elle rencontre sont envers elle d’une grande cruauté. Avec une foi inébranlable, Cabiria ne désespère pas de voir tourner sa chance et persiste à chercher l’amour. Ce film est dur, mais d’une maîtrise absolue.
Les Nuits de Cabiria reprend, résume, affine et parachève le message moral ou spirituel contenu dans les trois films précédents, mais cette fois-ci l’intelligence de la construction est diabolique, la conscience de l’efficacité de chaque détail, absolue.
raconte André Bazin pour France Observateur, le 16 mai 1957 lors du Festival de Cannes
Le film recevra notamment le Prix d’interprétation féminine pour Giulietta Masina, mais aussi aux Oscars 1958, l’Oscar du meilleur film en langue étrangère.
Pour y arriver, comment s’y prendre ?
Voici la lettre à un.e jeune cinéaste d’Anissa Bonnefont (comme l’ont mis à l’ordre du jour nos partenaires Horschamp) :
Soyez passionné.e.s, il faut l’être parce que ce métier est difficile. Il demande de la patience et beaucoup d’énergie. Il lui a fallu du temps avant de faire son premier long métrage, et du temps encore pour qu’à présent on l’appelle pour lui proposer des projets. Son premier court métrage elle l’a tourné il y a 13 ans. Le chemin vers la réalisation et l’obtention d’une certaine reconnaissance est très long et demande de la persévérance et une motivation sans faille. Il faut être passionné.e.s, travailler à fond et y croire fort. Il faut aussi regarder beaucoup de films. Se faire une culture cinématographique est très important parce qu’on a sans arrêt besoin de s’enrichir, de trouver des idées, parce qu’en réalité, tout est – quelque part – une réinvention de ce qui existe déjà. Il est riche de se nourrir des autres. Cependant, être singulier est essentiel, essayer de ne pas copier les autres. C’est important d’avoir son mot à dire. Enfin, il faut se faire confiance et vivre son rêve à fond.
Voilà les conseils qu’elle donnerait et que nous allons tâcher de suivre.