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Les Chambres Rouges : Anatomie du Mal

Dans le panthéon des monstres du cinéma, le serial killer hante depuis de nombreuses années nos salles obscures. Du sifflotement de Peter Lorre dans M le Maudit au regard bleu glacial d’Anthony Hopkins dans Le Silence des Agneaux, en passant par le véritable croque-mitaine de La Nuit du Chasseur, les assassins possédés par le mal fascinent les cinéastes depuis presque un siècle. Comment apporter un regard neuf quand la figure du tueur a déjà été traité cent fois ? C’est pourtant le pari relevé haut la main par Pascal Plante dans Les Chambres Rouges, premier électrochoc de l’année 2024.

Voilà vingt minutes que la caméra se promène dans une salle de procès de la Région de Québec : le temps d’un plan séquence vertigineux, l’affaire des « Chambres Rouges » est expliquée sous nos yeux. L’homme aux airs de Monsieur Tout Le Monde, dans le box des accusés, c’est Ludovic Chevalier, accusé des homicides de trois jeunes filles qu’il a torturées, violées, puis tuées, le tout en ligne et en direct sur le dark web. De ces images, nous ne verrons jamais rien. Les mots et la longue énumération des horreurs qu’ont vécues les victimes parlent d’eux-mêmes. L’estomac déjà noué, on est tenté de penser que l’on va assister à un énième film de procès. La caméra s’arrête enfin et adopte le regard de Kelly-Anne, le protagoniste principal du métrage. Tandis que la caméra se place dans le banc du public, Les Chambres Rouges annonce la couleur : nous vivrons, le temps de deux heures à travers le regard de cette jeune femme à la beauté glaçante. De cette jeune femme qui, sans jamais le connaître, est tombée amoureuse de Ludovic Chevalier. Kelly-Anne est la groupie du tueur et Pascal Plante va nous proposer une vertigineuse plongée dans sa psyché.

Juliette Garépy est Kelly-Anne, la fille qui aimait les hommes

Juliette Garépy prête son talent et sa physicalité à Kelly-Anne, une jeune mannequin solitaire, beauté convoitée par le regard de la société et des photographes qui la shootent à grands coups de flash le jour, hackeuse surfant dans l’obscurité du dark web la nuit. On devine que c’est là son vrai univers : au milieu d’un appartement luxueux mais vide, trône un immense set-up informatique. Kelly-Anne rappelle, de manière moins baroque, la Lisbeth Salander des romans et films Millenium. Comme Lisbeth, Kelly-Anne organise sa vie avec méticulosité, calcule ce qu’elle mange, entretient son corps et son esprit avec une mentalité d’ascète. Elle n’existe que pour un seul but : servir son obsession.

Kelly-Anne est fascinée par le mal et pour mieux le comprendre, elle a franchi le Rubicon : on comprend vite que la jeune femme enquête, à sa façon, sur Ludovic Chevalier. Et pour cela, elle n’hésite pas à se confronter aux pires images et à se noyer dans la noirceur de l’âme humaine. C’est en tout cas ce que Pascal Plante laisse le spectateur penser le plus longtemps possible, avant plusieurs basculements qui complexifieront l’ambiguïté du scénario plus qu’ils ne la lèveront.  Qu’est-ce qui motive Kelly-Anne ? Pourquoi ce mannequin, incarnation du vernis supposé parfait de la société, est-elle attirée, voire amoureuse de Ludovic Chevalier, horrible bourreau ?

Pascal Plante l’illustre à de nombreuses reprises : le mal est un virus qui contamine ceux qui s’y frottent, inlassablement. Les Chambres Rouges du titre ne sont ainsi que le reflet magenta d’un écran sur les visages de ceux qui regardent les vidéos interdites. C’est par cet élément de mise en scène, et d’autres encore, que Pascal Plante livre une œuvre passionnante sur notre rapport à la violence voire à l’horreur.

Cachez ce sang que je ne saurais voir

Pascal Plante l’a bien compris : pour nous interroger sur le mal, nul besoin de nous le montrer mais de nous le faire ressentir. Tout au long de son film, le réalisateur ne s’intéressera ainsi qu’au ressenti des individus face à la violence et jamais à celle-ci en tant qu’objet graphique. Pas une goutte de sang ne tâche le film et pourtant on en sort avec la tenace impression d’une souillure rouge sur la chemise.

Que ce soit par le son ou le découpage, Pascal Plante n’a de cesse que de nous faire ressentir l’horreur, nous pousser à comprendre l’incompréhensible, jusqu’au moment, glaçant, d’une ultime scène de procès traumatisante ou Kelly-Anne devient, figurativement, à la fois le bourreau et la victime, fusion impossible et monstrueuse de l’innocence détruite. Alternant entre le thriller et l’horreur pure, Pascal Plante livre dans ces quelques instants des images qui peuvent tordre les boyaux des spectateurs les plus résistants.

Le réalisateur Québécois déploie par ailleurs une réelle inventivité lorsqu’il s’agit de filmer des écrans, d’expliquer, sans facilités les principes du hacking : l’ingénierie sociale, l’utilisation de Thor pour aller sur le darkweb, les chats anonymes et leurs codes… Cette explication méthodique de ce que c’est qu’être hacker ne fait que renforcer le sentiment de paranoïa du film, bien aidée par une BO et un mixage sonore au cordeau.

Marchant dans la droite lignée d’un David Fincher – maître évident que Pascal Plante ne singe jamais pour autant, le réalisateur nous livre un pur exercice d’épure, un thriller comme on voit peu et assurément une référence du genre pour les années à venir. 

Bande-annonce

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