Le Festival de Cannes 2023 s’ouvre sur le sixième film de la réalisatrice française Maïwenn, trois ans après sa dernière production ADN. Avec l’acteur controversé Johnny Depp en tête d’affiche, le film retrace le parcours tumultueux d’une femme envoûtante et éprise de liberté : l’histoire de la comtesse du Barry, de son inéluctable avènement à sa chute tragique. En bref, le destin d’une femme oscillant entre deux mondes, mais jamais à la bonne place.
Lors de la Première du film à Cannes le 16 mai, la salle avait peut-être quelques chaises vides au départ, et certains se sont même aventurés à quitter leur siège en signe de contestation. Est-ce la magie des costumes, ou celle du lumineux Versailles ? En tout cas, le générique de fin s’est vu offrir une nouvelle BO : 7 minutes de standing ovation, signant un triomphe inattendu pour la réalisatrice et l’acteur américain. Les yeux étincelant de larmes pour Johnny Depp, le sourire rayonnant d’allégresse pour Maïwenn, acteur et réalisatrice s’unissent dans une symphonie de joie partagée. Chaque expression est amplifiée par la reconnaissance vibrante d’un public qui offre finalement une échappée triomphante sur un sentier épineux. Bref, ça s’est mieux passé pour Maïwenn que pour du Barry.
On en a beaucoup parlé, ça y est, on l’a vu ! Et alors, qu’en a-t-on finalement pensé ?
Il était une fois, dans l’univers cinématographique… un film qui embrassait davantage l’esthétique féerique d’un conte que la rigueur d’un récit historique. Dès les premières minutes, la voix off nous transporte dans la narration, à l’écran apparait une petite fille du peuple au regard résolu et au charme déjà manifeste. Dans une clairière qui évoque le domaine enchanté des fées, cette jeune fille devient la muse d’un peintre, réveillant en nous une imagerie merveilleuse, mais teintée de menaces. Une petite fille qui ne deviendra jamais princesse, OK, mais tout de même LA favorite du Roi ! C’est déjà pas mal, non ?
La mise en scène elle-même relaye l’atmosphère du conte ou de la fable, s’inspirant notamment du modèle de la Jeune Fille à la Fontaine, évocatrice de connaissance, mais aussi de sensualité. La forme du film, à la fois gracieuse et lumineuse, apporte une dimension poétique saisissante, qui contraste habilement avec la violence physique et morale omniprésente tout au long du récit.
En effet, la structure narrative du film, basée sur l’ordre chronologique à la manière du conte de fées traditionnel, trouve son point d’inflexion dans une juxtaposition de scènes qui passent brutalement de l’empathie à la violence. Cette séquence riche en discours témoigne de la déconsidération portée à cette femme prise entre deux mondes, une attitude de négligence commune à tous les personnages. Même à un roi – Johnny Depp – qui se révèle finalement égoïste et banal.
Le film présente la comtesse du Barry sous un angle résolument positif, dépeignant une femme libertaire, affranchie des conventions de la Cour, mais dotée d’un esprit aussi aiguisé que ses armes de séduction. Chaque aspect excessif de sa personnalité est justifié : elle est excessive ? C’est qu’elle est libre. Elle est vulgaire ? C’est qu’elle est moderne ! Cupide ? Non, Madame, ambitieuse ! Ce portrait sans nuance dépeint une femme indépendante qui se situe, en moral, au-dessus de ceux qui cherchent à la discréditer.
Maïwenn, réalisatrice et actrice principale de son film, occupe une place prépondérante à l’écran. Sa beauté espiègle et son charme naturel brillent de manière éclatante, peut-être même trop, au détriment des autres personnages qui ne sont relégués qu’au statut de simples figurants dans ce récit en costume. Il est regrettable de ne pas retrouver la même profondeur d’exploration des émotions et des réactions humaines, qui font la complexité des êtres, comme celle que Maïwenn a si brillamment dépeinte dans son chef-d’oeuvre Mon Roi. Emmanuelle Bercot y offrait une interprétation nuancée et dénuée de tout pathos, révélant une large palette émotionnelle.
La grâce naturelle et non conventionnelle de du Barry, née Jeanne Vaubernier, contraste de façon trop évidente avec la rudesse, l’étroitesse d’esprit, la complaisance et la vulgarité attribuée aux autres personnages. À l’exception, peut-être, de l’intendant du Roi, magnifiquement incarné par Benjamin Lavernhe, qui fait preuve d’une subtilité et d’une habileté remarquables.
Ce portrait de l’Intendant du Roi, bien que rapidement esquissé, apporte une complexité bienvenue à un film qui, par ailleurs, semble très partial. Marie-Antoinette n’est plus qu’une frêle brebis apeurée et dénuée de tout discernement et Adélaïde, la fille de Louis XV, une idiote aux manières grossières. Les traits sont épais, mais n’est-ce pas aussi cela lui nous offre quelques scènes savoureuses et l’occasion de rire ?
En fait, ce film ose s’éloigner des conventions des films historiques. Souvent dramatiques et poignants, ils cherchent à susciter une forte émotion chez les spectateurs pour les rallier à une cause sociale. Ici, le contexte historique semble être un prétexte pour expérimenter le film en costume. Cette expérience est indéniablement réussie, les tenues vestimentaires étant d’une beauté enchanteresse, un véritable régal visuel digne des gravures féeriques.
Le film se concentre principalement sur une réflexion générale autour de la condition d’une femme à l’esprit libre, mais constamment entravée par sa condition sociale. C’était déjà le cas d’Alice, fuyant au Pays des Merveilles pour échapper aux leçons d’élégance de sa mère, c’est aussi le cas de Belle, coincée dans une vie monotone, dans un village modeste. Incomprise, elle a le goût de la lecture, comme Jeanne. Ce film questionne la société sur l’adhésion à un modèle social en forme d’organigramme figé. Cependant, était-il vraiment nécessaire de ressusciter Jeanne du Barry pour proposer ces pistes de réflexion ? D’aucuns pourraient dire que non, quand d’autres reconnaitront la légitimité illustrative qu’apportent les évènements à un questionnement social global.
Certains pourront reprocher au film son manque de subtilité, tant dans la construction des personnages secondaires, que dans le regard porté sur Jeanne du Barry. On pourra tout aussi bien considérer que ce parti pris n’a pas cherché à respecter scrupuleusement l’exactitude historique, mais plutôt à proposer un film coloré et vivant qui célèbre l’émancipation de l’esprit tout en déplorant son étroitesse.
En résumé, le film privilégie l’esthétique féerique du conte plutôt que la rigueur historique. Sa mise en scène gracieuse et colorée est un contrepoint cinglant à la violence dans le récit. Le film mérite d’être apprécié pour sa construction originale en forme de conte de fées déceptif. Aussi et surtout, pour son questionnement sur la condition d’une femme libre, mais socialement entravée. Plus généralement, il suscite une réflexion sur l’émancipation personnelle au sein d’une société stratifiée.
Les contes de fées intègrent une pincée de réalisme pour nous inviter à la réflexion. D’une formule alchimique où l’imagination se mêle à la réalité, peuvent naitre les espoirs les plus inspirants et les changements les plus profonds. De quoi alimenter nos rêves de société et en façonner une plus juste et épanouissante !
Article écrit par Lauranne Riviere